Comment captiver vos lecteurs

Cet article est la traduction en français de l’article « How to Keep Your Readers Hooked » par David B. Clear sur le site medium.com.
N’hésitez pas à consulter les autres articles de cet auteur.

Comment vous garder en haleine ? Comment pourrais-je être sûr que vous lirez la phrase d’après ? Comment puis-je vous forcer à parcourir ligne après ligne, page après page mes écrits avec une soif insatiable ?

Poser des questions est un bon début. A partir du moment où je pose une question dont vous ne connaissez pas la réponse, je crée un petit trou dans votre cerveau, un manque d’information (“information gap” en anglais).

Information Gap (@David B. Clear - The Writing Cooperative)
Illustration d’un manque d’information (“information gap”) @David B. Clear – The Writing Cooperative

Le manque d’information est un concept central dans la “Théorie de la curiosité” de George Loewenstein. Ce manque explique pourquoi les gens cliquent sur certains entêtes d’articles sur internet, pourquoi ils lisent l’article jusqu’à la fin ou non et, plus généralement, pourquoi les gens sont curieux et recherchent des informations même si celles-ci ne leur seront d’aucune utilité.

La curiosité apparait quand un individu prend conscience d’un “trou” dans ses connaissances qui pourrait être comblé avec une information. Ce trou est formé par l’apparition d’une question dont on ne peut être sûr de la réponse.

Loewenstein n’a pas créé cette théorie pour aider les auteurs. Mais cela n’a pas d’importance. Cette théorie contient les clés pour aider les auteurs à créer et maintenir la curiosité de ses lecteurs tout au long de l’histoire qu’il essaie de raconter.

Ne pas succomber à la démangeaison

Avoir un manque d’information vous place dans une situation inconfortable, comme une piqûre d’insecte que l’on ne doit pas gratter. Si vous voulez que vos lecteurs dévorent votre histoire, vous devez installer et maintenir cette démangeaison jusqu’à la fin. Et la meilleure façon de faire est de soulever des questions auxquelles ils ne connaissent pas les réponses.

Ce que font les bons titres d’articles, les bons paragraphes d’introduction et les bons cliffhangers (suspense). Ils posent des questions :
Cet article va-t-il améliorer ma vie ?
Des explosions, des vampires et Trump qui pourchasse Biden sur un tricycle ! Que se passe-t-il ?
Nom de D. ! Comment le héros va-t-il se sortir de ce piège ?

Chaque question fait naitre une démangeaison dans l’esprit de vos lecteurs.

Illustration d’une démangeaison @David B. Clear – The Writing Cooperative

Cette démangeaison harcèle vos lecteurs qui n’ont d’autre choix de continuer à lire s’ils veulent s’en débarrasser. Ils dépendent de vous, en tant qu’auteur, pour trouver la réponse dont ils ont besoin.

Mais vous ne pouvez pas enchainer les questions sans leur donner aucune réponse. Vos lecteurs vont vous haïr. C’est ce que font les articles “putes à clic” (“clickbait” en anglais) qui prétendre répondre à une grande question mais dont la réponse est très insatisfaisante. Et personne n’aime ce type d’articles.
On retrouve aussi ce genre de sentiment quand nos séries préférées sont arrêtées sans qu’elles n’aient rencontré de conclusion satisfaisante (beaucoup trop de questions restent en suspens).

Alors pour garder l’attention vos lecteurs, vous devez répondre à certaines questions. Vous devez combler leur manque d’information avec des réponses satisfaisantes.

Illustration d’une réponse satisfaisante @David B. Clear – The Writing Cooperative

C’est ce que font les bons feuilletons télé (“soap operas” en anglais) qui arrivent à fasciner des pays entiers. Ils suivent le schéma “cliffhanger, cliffhanger, résolution, cliffhanger, cliffhanger, résolution, etc.”. Ils posent une question puis une autre et vous laissent en suspens jusqu’à la prochaine scène. Mais ils ne transforment pas votre cerveau en fromage à trous, ils donnent la réponse au premier cliffhanger avant d’enchainer sur le troisième.

Ne vous souciez pas du gâteau mais de comment les mettre en appétit

Comme l’a expliqué l’auteur Lee Child, vous n’attisez pas l’appétit de vos lecteurs en sélectionnant les meilleurs ingrédients et en les combinant consciencieusement. Vous ne leur ouvrez pas l’appétit en créant un gâteau parfait et joliment décoré. Vous les appâtez mais vous devez les laisser sur leur faim. Ne les nourrissez pas !
Posez ou supposez une question au début de votre histoire et différez la réponse.
C’est comme ça que les histoires, même les mauvaises, deviennent des bestsellers.

Illustrons cette théorie par le paragraphe d’introduction ci-dessous.

J’ai adopté un chien il y a sept mois. Il pèse 30kg et quand il est debout il est plus grand que ma femme. Il a les oreilles tombantes, le poil ras et brun et, comme tous les chiens de sa taille, une grande gueule. Depuis que j’ai appris à le connaitre, je le considère comme la plus gentille et douce des bêtes. S’il aboie c’est toujours pour montrer qu’il est heureux.

Voyez-vous le problème ?
Ce paragraphe est chiant. Vous, en tant que lecteur, n’avez rien à faire de mon chien. Et c’est normal, il n’y a aucun manque d’information dans ce paragraphe. Rien qui ne vous pousse à lire le suivant. Ce n’est pas en améliorant le style, la tournure ou les mots de ce paragraphe que cela va le rendre plus intéressant.

Voyons comment rendre ce paragraphe accrocheur.

Peu importe l’amour que je porte à mon chien, après ce qu’il s’est passé aujourd’hui, tout ce sang sur le canapé, les rideaux et ce sanglant morceau de chair sur le tapis, je vais devoir le faire euthanasier.
J’ai adopté un chien il y a sept mois. Il pèse 30kg et quand il est debout il est plus grand que ma femme. Il a les oreilles tombantes, le poil ras et brun et, comme tous les chiens de sa taille, une grande gueule. Depuis que j’ai appris à le connaitre, je le considère comme la plus gentille et douce des bêtes. S’il aboie c’est toujours pour montrer qu’il est heureux.

Vous voyez la différence ?
Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous demander ce qu’il s’est passé. Est-ce le chien qui est devenu fou ? A-t-il tué une bestiole ou un être humain ? Vous ne le savez pas.
Un manque d’information a été créé dans votre cerveau. Il en résulte que vous lisez le second paragraphe avec plus d’intérêt. Après tout, maintenant, vous essayez de répondre à une question (que s’est-il passé ?). Et le fait de décrire la bonne nature de ce chien vous rends de plus en plus curieux.

Il ne s’agit pas que de questions et de manque de réponses

Comme vous le savez maintenant, poser des questions et différer les réponses créent du manque dans le cerveau de vos lecteurs. Quand vos lecteurs identifient ces questions, cela crée un sentiment de curiosité. Mais la curiosité n’est pas un interrupteur que l’on active ou désactive. C’est plutôt un contrôle de volume dont on peut augmenter (ou diminuer) l’intensité.

Illustration de la curiosité @David B. Clear – The Writing Cooperative

C’est une molette qui peut aller de “rien à foutre” à “j’en crèverai si je ne connais pas la fin”. Alors si vous voulez captiver vos lecteurs, vous devez apprendre à vous servir de cette molette.

Moduler la curiosité via l’incertitude

Dans une étude, des chercheurs ont découvert que les personnes sont plus intéressées par les questions dont ils peuvent entrevoir les réponses. En d’autres mots, les personnes sont plus attirées par les questions dont ils pensent connaitre la réponse plutôt que par celles dont ils ignorent tout.

La relation entre la curiosité et l’incertitude suit une courbe en U inversée. L’excès d’informations ou l’excès de manque d’informations peut tuer la curiosité.

Illustration de la relation curiosité-incertitude @David B. Clear – The Writing Cooperative

Comme vous pouvez le voir, il existe un point à environ 50% d’incertitude qui maximise la curiosité d’une personne.

Quelle signification pour l’écrivain ?
Pour augmenter la curiosité de vos lecteurs, vous devez leur donner la chance de faire des suppositions et d’imaginer comment tout cela va finir. Cela passe par l’ajout d’indices au fil des pages, assez pour créer des hypothèses et trop peu pour avoir des certitudes. Vous pouvez aussi placer des leurres (de faux indices ou fausses pistes) pour augmenter l’incertitude.

Un parfait exemple du rôle de l’incertitude dans la curiosité est donné par Brad Parks dans ce qu’il appelle une “introduction inutilement vague”.

Elle est terrifiée. Son cœur s’emballe. Son visage reflète la peur. Elle court. Elle court aussi vite qu’elle peut. Elle court à travers les bois. Des branches s’accrochent à ses vêtements, les déchirant en morceaux. Cela n’a pas d’importance, Elle doit fuir.

Il se passe quelque chose dans ce paragraphe, c’est certain. Mais, nous ne sommes pas “accrochés”. Trop d’incertitude, peu d’information. On ne connait pas protagoniste : est-ce une enfant, une ado, une femme ? Est-elle poursuivie par un tueur, des abeilles tueuses ou un chien enragé ? Ou bien, vient-elle de sauter de sa voiture pour trouver un coin où faire ses besoins ? Trop d’hypothèses, pas assez d’indices. L’incertitude est importante et notre curiosité n’est pas titillée.

Voyons une autre version de ce paragraphe.

Lisa, une ado de 16 ans revêtue d’une veste en cuir noir, est seule au milieu de la forêt. Un zombie apparait et se dirige vers elle. Mais, pas de soucis, le zombie ne l’attrapera pas. Elle le distance et revient à son camp, saine et sauve. Elle ne sera pas blessée. Mais Lisa ne le sait.
Elle est terrifiée. Son cœur s’emballe. Son visage reflète la peur. Elle court. Elle court aussi vite qu’elle peut. Elle court à travers les bois. Des branches s’accrochent à ses vêtements, les déchirant en morceaux. Cela n’a pas d’importance, Elle doit fuir.

Cette fois, la fin de l’action est totalement dévoilée. Aucune incertitude. De plus, la curiosité n’est pas non plus titillée. Mais si vous supprimez la partie en italique et précisez que le zombie est le père de l’héroïne alors vous avez un paragraphe qui commence à installer une certaine curiosité (qu’est-il arrivé à son père ? d’où vient-elle ?) et qui peut inciter vos lecteurs à lire la suite.

Voilà ce que ça pourrait donner :

Lisa, une ado de 16 ans revêtue d’une veste en cuir noir, est seule au milieu de la forêt. Son père, Sam, apparait et se dirige vers elle.
Lisa sent son cœur s’emballer. Son visage reflète la peur. Sam se rapproche. Lisa court. Elle court aussi vite qu’elle peut. Elle court à travers les bois. Des branches s’accrochent à ses vêtements, les déchirant en morceaux. Cela n’a pas d’importance, Elle doit fuir.

Moduler la curiosité avec des enjeux

Un autre facteur qui permet de moduler la curiosité de vos lecteurs est l’enjeu. L’enjeu est lié à votre protagoniste, c’est ce qui risque d’arriver si votre protagoniste échoue ou réussi.

Illustration de l’enjeu @David B. Clear – The Writing Cooperative

Si la réponse à la question que vous posez a un impact mineur sur votre héros alors l’enjeu est de peu d’importance et la curiosité est minimale. Par exemple, votre héros a le choix entre un café ou un thé pour son petit-déjeuner.
Mais si la réponse concerne la survie de votre personnage alors l’enjeu est important et la curiosité grimpe en flèche.

Ce principe s’applique aussi bien qu’aux livres, articles ou essais.
Par exemple, dans le film “Un Jour San Fin”, les actions de la marmotte ont peu d’impact sur l’histoire et son héros, il n’y a pas d’enjeu. En revanche, tout le monde est devant sa télé quand les journaux annoncent les résultats de l’élection présidentielle.
De même un article sur comment captiver ses lecteurs a un enjeu plus élevé chez un auteur qu’un article sur l’utilisation du point-virgule dans la littérature contemporaine. C’est en gagnant et retenant ses lecteurs qu’un écrivain peut faire une carrière ; savoir bien utiliser le point-virgule devient alors dérisoire.

Comment développer la curiosité de vos lecteurs en utilisant les enjeux ?
Décrivez clairement ce qui pourrait se passer si le protagoniste fait le mauvais choix. Faites de même pour le bon choix. Et laissez votre protagoniste passer à l’action.

Mais méfiez-vous à ne pas exagérer les enjeux. Tous les enjeux n’ont pas vocation à menacer la vie de votre protagoniste. De plus, si la réponse à apporter est trop “faible”, cela va laisser vos lecteurs sur leur faim. Et, s’ils sont trop frustrés, ils abandonneront leur lecture.