Comment appliquer les concepts d’écriture de scénario à votre roman

Cet article est la traduction en français de l’article “How to apply screenwriting concepts to your story” par Logan Dice paru le 27/05/2017 sur medium.com.
N’hésitez pas à aller sur medium.com pour “liker” l’article et en savoir plus sur son auteur.

La première question que vous vient à l’esprit :

Pourquoi devrais-je apprendre à écrire un scénario ?
Je ne sais pas. Je me suis posé cette question pendant des années.

Sérieusement, soyons honnête : vous ne voulez pas écrire des scénarios.
Alors comment un guide d’écriture de scénarios peut-il vous aider ?

(Vous pouvez sauter cette première partie si vous ne voulez pas écrire des scénarios)


J’ai étudié l’écriture de scénarios à l’école et c’est là que je concentre la plupart de mon temps d’écriture aujourd’hui. Mais je n’écris pas seulement des scénarios. Pour ceux qui me connaissent, j’écris aussi des histoires courtes, des nouvelles et des pauvres tentatives d’humour quand j’échoue à trouver une fin correcte à une histoire.

La raison pour laquelle j’ai pensé que l’écriture de scénarios serait un sujet intéressant même pour les personnes qui ne veulent pas en faire leur métier est que mon expérience dans ce champ m’a aidé à développer mes compétences d’écriture en général et pas seulement pour les scénarios.

Comment ?

Parce qu’étudier l’écriture de scénarios  ce n’est pas étudier que le format; il existe de nombreux logiciels qui peuvent faire ce travail à votre place de nos jours.

Alors, qu’est-ce qui ce cache derrière “apprendre l’écriture de scénarios” ?

Vous apprendrez comment structurer une histoire, lui donner du rythme, développer les personnages, les arcs narratifs d’une histoire et de son personnage principal, etc. Tout ce qui vous permettra de transcrire des mots en émotions dans l’esprit du lecteur. L’écriture d’un film n’est pas très différent de l’écriture d’un roman. Les buts son similaires : pousser votre audience à s’intéresser à vos personnages, à ce qui leur arrive et, avec un peu de chance, à être ému par cette expérience. L’industrie du film est passé maître dans cet art.

En bref :

Hollywood a réduit l’écriture de scénarios à une putain science et si vous voulez apprendre le B.A.BA de la narration (storytelling), l’apprendre du business qui fait des millions de dollars avec l’art de raconter des histoires est un bon moyen de commencer.

Si vous voulez vraiment écrire des scénarios, vous devriez commencer par lire ce qui suit. Si vous ne voulez pas écrire de scénarios, j’espère que je vous ai convaincu que les règles d’écriture de scénarios peuvent être très utiles même pour les écrivains d’autres supports.

Alors, existe-t-il une méthode miracle de narration utilisé à Hollywood ?

Oui.

Hollywood a développé plusieurs règles d’or pour l’écriture de scénarios. Le plus connus est celui de Syd Field : “Screenplay: The Foundations of Screenwriting” (Scénario : les fondations de l’écriture de scénarios) qui réduit tous scripts en 3 actes + quelques intrigues.

  • ACTE 1 : 30 premières pages, introduction des personnages et du problème principal.
    • Intrigue 1 : fin du premier acte ‘l’appel du héro à l’aventure’
  • ACTE 2 : développement du problème principal jusqu’à un point de non retour.
    • Intrigue 2 : à la moitié de l’acte 2 ‘les enjeux du problème se développent’
    • Intrigue 3 : fin de l’acte 2 ‘le héro est poussé à l’action’
  • ACTE 3 : Climax et résolution du problème principal
    • Intrigue 4 : description de l’action
    • Intrigue 5 : résolution du problème

 

Pendant longtemps, le livre de Field a été un standard pour l’écriture à Hollywood avec des instructions minutieusement appliquées au numéro de page près où quelque chose doit arriver. Ce n’est plus d’actualité aujourd’hui mais il s’agit toujours d’un très bon livre et je le recommande à tous ceux qui veulent en savoir plus sur la structure d’une histoire.

Maintenant, la première chose qui vous vient à l’esprit :
Mais vous ne pouvez pas avoir une ‘méthode’ pour écrire. L’écriture est un art, vous ne pouvez pas la réduire à une science. N’est-ce pas le pourquoi les films de Hollywood se ressemble tous aujourd’hui ?

C’est un point  de vue parfaitement valide qui a été débattu de nombreuses fois et ce fut la principale critique fait au livre de Field pendant longtemps. Vous ne pouvez pas réduire la narration d’une histoire à une liste “page à page” d’instructions sans tuer votre créativité, n’est-ce pas ?

Et bien, oui, vous pouvez. D’une certaines façon.


Puis vint le livre “Save the Cat!” du scénariste Blake Snyder en 2005.

Là où Syd Field a seulement découpé le script en 3 actes et une poignées d’intrigues, Blake Snyder a tout envoyé balader et a proposé une découpe en 15 ‘beats’ (étapes) avec un nombre spécifique de pages et une chose qui doit arriver au personnage principal à chaque étape.

“Save the Cat!” est devenu un standard des scénarios hollywoodiens et la plupart des films que vous avez vus ont été écrits par des personnes qui connaissent le livre par cœur.

Pourquoi devriez-vous apprendre cette méthode ?
C’est tué l’esprit même de l’écriture. L’art devrait venir de son âme et pas d’un manuel détaillé pas-à-pas IKEA.

En effet. Néanmoins “Save the Cat!” est un énorme succès et de nombreux films et romans que vous aimez suivent déjà la structure de ‘beats’ du livre. Même les films et les livres qui ont été écrits avant le livre !

Snyder n’a pas inventé ces ‘beats’. Il a juste repéré les similitudes entre différents films et histoires qu’il aime puis les a écrites telles qu’il les a vues.

“Save the Cat!” est à peu près une relecture du livre “The Hero With a Thousand Faces” de Campbell qui a fait connaitre la structure universelle de tous les mythes du monde au travers du voyage du héro (“The Hero’s Journey”). Un auteur et un concept que je recommande fortement à tous ceux qui veulent faire de l’écriture leur métier.

Est-ce que le livre “Save The Cat !” est la seule méthode pour raconter une bonne histoire ?

Non.

Pourriez-vous écrire une mauvaise histoire si vous suivez les instructions de ce livre ?

Oui.

Est-ce que j’utilise “Save The Cat !” lors de l’écriture de mes romans ?

Oui et non. Je connais la structure par cœur et il y a quelques étapes que je considère comme essentielles et que j’incorpore à toutes mes histoires. Il y a des étapes que j’ignore dans certaines de mes histoires alors que j’en utilise d’autres. Cela dépend de l’histoire et de ce dont elle a besoin.

Nous allons maintenant lister tous les ‘beats’ d’une histoire et j’expliquerai brièvement chacun avec un exemple. Gardez à l’esprit que malgré son succès et son influence, “Save The Cat !” n’est pas une étude sur l’art de l’écriture. Il ne décrit pas précisément le développement des personnages, le tempo, l’arc narratif d’un personnage, etc. Cela prendrait trop de temps de parler de tout ça ici. J’ai donc décidé de me concentrer sur “Save The Cat !” parce que ce livre illustre parfaitement l’importance de la structure et du conflit qui sont essentiels dans l’art de raconter une histoire.

Je pense que tout le monde devrait apprendre à structurer une histoire. Pas parce qu’il faut suivre pas-à- pas une méthode (Snyder ou Field ou autre) mais parce que vous devriez savoir reconnaitre une bonne structure quand vous en croisez une. Quand vous aurez maîtrisé la “base” qui a été si longtemps éprouvée, soyez libre de l’ignorer quand elle ne correspond pas à l’histoire que vous essayez d’écrire. Mais ne pas l’apprendre car elle serait contraire à l’art même de l’écriture serait une pure connerie. Ce n’est qu’une excuse pour éviter de fournir un effort pour apprendre le métier.

J’espère que j’ai tué l’âme du hippie de l’écriture qui vivait à l’intérieur de vous. C’est le moment de s’y mettre.


Les étapes de “Save The Cat!”
Où le manuel IKEA sur l’écriture d’une histoire

Prenons l’exemple du “Fight Club” (1999) de David Fincher car c’est un film très apprécié autant des critiques que du public.

Gardez en mémoire que l’histoire n’a pas à suivre à la lettre toutes les étapes (les miennes le font rarement). Il est juste utile de connaitre le squelette afin que vous puissiez choisir par vous-même lequel de ses os votre histoire a besoin.

ALERTE SPOILER !
Si vous n’avez jamais vu ce film, vous allez en connaitre la fin.

ACTE 1
1- Scène d’ouverture

C’est un classique. Votre scène d’ouverture doit poser le ton de votre histoire. Et c’est tout ce qu’elle doit faire !
Il est très facile de ne pas foirer cette scène. Si vous écrivez une comédie romantique, ne commencez pas avec une nonne tuée par une autre nonne qui s’enfuit dans un radeau fait de chiots morts sur un océan de sang de chatons et ça devrait être bon.

Dans “Fight Club”, la scène commence sur un Edward Norton avec un flingue dans la bouche pendant que Tyler lui crie dessus. Elle établit le ton et aiguille l’histoire sur quelque chose de brut, de noir et sur la relation entre les personnages d’Edward Norton et Tyler.

 

2- Le thème

Ici vous décrivez le thème de l’histoire. Personnellement, je ne trouve pas cette étape importante.

Votre premier acte devrait se concentrer sur la description des personnages et du conflit/problème principal.

Dans “Fight Club”, le thème est établit par la routine quotidienne et ennuyeuse d’Ed Norton. Le film est essentiellement une histoire sur l’homme moderne et lui-même, puis sur l’ennui et la futilité de la vie dans un pays capitaliste.

 

3- Le décor

C’est une scène importante. Elle permet de décrire le “monde ordinaire” dans le voyage du héro. C’est la vie du personnage principal avec ce qui lui manque et comment celle-ci est imparfaite.

(Si votre personnage n’a aucun défaut, ajoutez lui des défauts ! Cela rendra votre histoire meilleure.)

Dans “Fight Club”, ce sont l’insomnie et l’obsession d’Ed à se définir par rapport à ses possessions matérielles.

 

4- Le catalyseur

C’est LA plus importante des étapes de l’acte 1. Dans cette scène, quelque chose (ou quelqu’un) fait passer votre personnage de son monde ordinaire vers un “autre monde” et l’acte 2.

Dans “Fight Club”, c’est quand la maison d’Ed explose et qu’il rencontre Tyler dans un bar.

 

5- Le débat

Cette scène n’est pas obligatoire mais j’aime en  avoir une. Elle permet de mettre en avant les hésitations du personnage à aller vers cet “autre monde”. Il peut décider de lui-même d’y entrer ou y être propulsé contre sa volonté.

Dans “Fight Club”, c’est Tyler qui dit “Il suffit de demander. Tu as besoin d’un endroit où vivre, alors demande.” et Ed Norton hésite à emménager avec Tyler.

 

ACTE 2

6- Le début de l’acte 2

C’est le moment où votre héro ou héroïne entre dans l’ “autre monde”. Quand il ou elle accepte ou non d’aller vers l’aventure.

Dans “Fight Club”, c’est Ed qui accepte d’emménager avec Tyler.

 

7- Histoire secondaire

Pas nécessaire malgré ce que préconise Snyder. Si votre histoire a besoin d’une histoire secondaire ou d’une intrigue secondaire (le plus souvent une intrigue romantique), faites-le. Si ce n’est pas nécessaire, oubliez-la !

Dans “Fight Club”, on peut dire qu’il s’agit de la relation entre Ed Norton et Marla Singer mais c’est peut-être un peu tiré par les cheveux.

 

8- Du pain et des jeux

Une grosse scène ! De cette étape et jusqu’au milieu de votre histoire, vous devez développer les promesses de la prémisse. Il s’agit de donner ce que votre histoire a promis. Si c’est une romance, c’est du flirt, les premiers jours de la relation, etc. Si c’est une histoire fantastique, c’est la description du monde que vous avez créé, ses dangers, ses combats d’épées, etc. (pensez “Mines de la Moria” du “Seigneur des anneaux”).

Dans “Fight Club”, eh ben, c’est le “fight club”. Un groupe d’hommes qui s’affrontent et discutent du fait d’exister dans une société capitaliste qui définit la personne par ses possessions.

 

9- Le milieu

Encore une grosse scène !

C’est la scène “Fini de jouer et soyons sérieux”. La vie du héro ou de l’héroïne après avoir exploré la partie “pain et jeux” et qu’il ou elle est confronté à la réalité. Quelque chose de sérieux doit arriver ici, qui nous rappelle que la tâche du héro ou de l’héroïne ne va pas être facile.

Dans “Fight Club”, c’est quand Ed Norton entend parler du projet Mayhem et qu’il réalise que non seulement il n’est pas spécial pour Tyler Durden mais aussi que le “fight club” devient incontrôlable.

 

10- Les méchants se rapprochent

Il s’agit ici de développer les enjeux décrits dans l’étape 9 (le milieu). L’histoire prend de la vitesse et la “chance” du héro ou de l’héroïne décline vitesse grand V.

Dans “Fight Club”, c’est la scène de l’accident de voiture quand Tyler dit à Ed Norton qu’il n’est pas spécial, pas important et qu’il doit repenser tout ce qu’il croit savoir au sujet du fight club et de leur relation.

 

11- Aucun espoir

J’aime cette partir. Je l’utilise dans chacune de mes histoires car je pense qu’elle est essentielle.

C’est la scène où tout va mal et empire. Plus ça va mal, mieux c’est. C’est le moment où votre audience doit penser : “Ok, aucune chance que tout ça finisse bien. Ils sont dans une merde noire, impossible de s’en sortir.

C’est une super étape parce qu’elle fait penser à votre audience qu’ils ont manqué quelque chose. Ils veulent absolument savoir comment tout ça va finir et si le ou les personnages vont s’en sortir.

Dans “Fight Club”, son nom est Robert Paulson. Quelqu’un est mort en travaillant sur le projet Mayhem et, pire que tout, ces membres sont tellement dans le truc qu’ils ne réalisent pas ce qui leur arrivent. C’est une scène culte et dangereuse, Ed a aidé à la création du problème. Que va-t-il faire ensuite ?

 

12- La nuit sans fin

C’est la continuation de la scène précédente. Le moment où le personnage principal regarde dans l’abysse et l’abysse le regarde. Il n’y a plus d’espoir, les méchants ont gagné. Dans de nombreux romans ou films policiers, c’est l’instant où le chef de la police demande son badge au héro ou à l’héroïne.

Dans “Fight Club”, c’est quand Tyler Durden disparait sans laisser de traces.

 

ACTE 3

13- Le début de l’acte 3

C’est le moment “EUREKA !”. Une étape très importante.Quand une étincelle d’espoir jaillit qui pousse votre personnage à l’action. Il était en train de chouiner, espoir perdu, puis … quelque chose lui donne du courage et il redresse la tête une dernière fois même si ça parait suicidaire.

Dans “Fight Club”, c’est le moment où Tyler réapparait et proclame qu’Ed et Tyler sont la même personne. Ce n’est pas exactement de l’espoir qui jaillit mais, tout de même, c’est le moment où Ed apprend qu’il est Tyler Durden et où il réalise qu’il DOIT faire quelque chose.

 

14- Le final

C’est la scène de climax, l’apogée de votre histoire. Votre personnage défie la chance pour essayer d’accomplir son objectif. Il peut réussir ou pas.

Dans les bonnes histoires, à ce moment, le personnage a changé. Ses défauts ont été corrigés (ou atténués) et, à cause de son parcours, il est une personne meilleure . Il est prêt à se battre une dernière fois.

Dans “Fight Club”, c’est quand Ed essaie d’arrêter les attaques à la bombe et qu’il se retrouve dans la situation de la scène d’ouverture du film (Tyler lui met une arme dans la bouche).

(à noter : malgré l’échec d’Ed à arrêter les attaques, il a accompli son but : Tyler Durden est mort, Ed a repris le contrôle sur lui-même)

 

15- La dernière image

C’est le moment du “ils vécurent heureux pour toujours”. Pas essentiel, mais c’est une manière sympa de montrer que le personnage a “grandi” pendant son voyage et que sa vie est meilleure à cause de celui-ci.

Dans “Fight Club”, les immeubles tombent tandis que Marla et Ed se tiennent la main devant le capitalisme en déroute. Les choses ne seront plus jamais les mêmes.

 


Et c’est tout. Comme déjà dit plus haut, ce n’est pas une méthode absolue pour écrire et vous devriez oublier ces étapes si elles ne s’adaptent pas à votre histoire.

Mais apprenez la structure ! Si ce n’est celle-là, apprenez le voyage du héro de Campbell. Ou la structure en 3 actes. Peu importe. Il existe une raison pour que ces méthodes soient si populaires, et que plusieurs bonnes histoires suivent une structure similaire depuis la Grèce antique. Elles fonctionnent !

Si vous devez retenir une seule chose de cet article, ça devrait être : l’écriture demande beaucoup de travail.

Vous ne vous asseyez pas un jour à votre bureau pour écrire un chef d’œuvre. Cela prend du temps pour apprendre et s’exercer.

Ne tombez pas dans le piège en pensant qu’écrire est un talent que vous avez ou pas. Les personnes qui refusent d’apprendre la “base” parce qu’ils pensent qu’écrire est un talent inné se mettent le doigt dans l’œil. Ils ne veulent pas faire d’effort et y mettre du temps.

Étudiez la structure, le développement de personnage, le tempo et les dialogues. Lisez. Et surtout écrivez. Beaucoup.

 

Ou mieux, faites du Droit. Le métier d’écrivain est dingue. Marrant. Mais dingue.